L'article suivant a été publié dans le numéro 167 de Plan Libre, le journal de ma Maison de l'Architecture de la région Occitanie, de mai 2019, avec le titre "La facilitation graphique comme architecture de l'information". Merci à Guillaume Beinat pour la coordination. Photo © de Ivan Mathie.
La facilitation graphique comme architecture de l’information
Une image vaut plus que mille mots. Combien de fois avons-nous entendu cette phrase ? En tant qu’architecte, illustrateur et facilitateur graphique, je suis souvent confronté à la nécessité d’expliquer l’importance de la communication visuelle dans notre environnement. La facilitation graphique est une jeune discipline qui connaît un essor grâce à la « démocratisation » du dessin. Elle essaye de démontrer les avantages scientifiques que déclenche l’usage efficace d’images dans un contexte professionnel.
La facilitation graphique est une pratique artistique qui permet la restitution en temps réel d’un flux d’information ou d’un échange au sein d’un groupe. Si vous avez déjà assisté à des réunions, meetings, conférences, où une personne écoute discrètement les intervenants et traduit en images leurs discours, vous avez vu de la facilitation graphique en action. La technique principale utilisée par les facilitateurs graphiques est celle de la fresque. Une feuille de papier de plusieurs mètres de long synthétise et structure les informations afin de permettre une vision d’ensemble sur un sujet.
Le lien qu’entretiennent l’architecture et la facilitation graphique est d’ordre historique. La facilitation graphique naît en 1972 à San Francisco à travers la rencontre du consultant David Sibbet, David Straus et Michael Doyle. Ces deux derniers sont architectes de formation et travaillent sur l’idée d’introduire une méthode pouvant être utilisés par les architectes, les designers et d’autres créatifs dans le « problem solving ». Celle-ci pourrait aider à développer une approche collaborative pour la prise de décisions. Ils sont fascinés par les brainstormings collectifs et organisent régulièrement des rencontres dans lesquelles ils encouragent des membres à enregistrer les concepts sur de grandes feuilles. Ces rencontrent attirent l’attention de plusieurs personnes qui gravitent autour de l’innovation. Entrepreneurs, créatifs, ou mêmes étudiants universitaires. Parmi eux, un autre architecte, Joe Brunon, intègre rapidement l’équipe pour y développer un style qu’il appellera ensuite le « graphisme génératif ». Sa technique consiste à dessiner des schémas complexes avec multiples branches, tout en gardant le coup de crayon et le sens de la composition d’un architecte. Dans ce contexte naît « Group Graphic », le premier cabinet de conseil qui propose des services de facilitation graphique. Au moment de ces évènements ni David Straus, ni Micheal Doyle, ni Joe Brunon ne travaillaient principalement comme architectes. Il est donc difficile de définir dans quelle mesure nous pouvons affirmer que ce sont des architectes qui ont inventé la facilitation graphique. Cependant il est certain que ce n’est pas un hasard si des tels profils ont joué un rôle central dans la création de cette discipline, puisqu’il s’agissait de personnes ayant l’habitude de travailler avec des visuels.
La facilitation graphique est très liée aux sciences cognitives, aussi il est intéressant de parler de « pensée visuelle ». En effet, l’architecture et la facilitation graphique utilisent le dessin comme un outil de travail et non pas comme une finalité. Ce dessin, spontané, primordial, souvent au deuxième plan dans une réalité d'agence CAD (ou plutôt BIM maintenant), s'exprime dans les situations les moins attendues. Une esquisse rapide en réunion, devant un client, ou bien un détail de construction dessiné lors d’un chantier sur une plaque de BA13 pour clarifier un doute. Cet acte, est en quelques sorte un acte d’engagement, un pas vers l’autre, une tentative de communiquer autrement qu’à travers les mots. Il est curieux de constater à ce propos, que les études effectuées sur la vie du peintre Américain Bob Ross montrent comment notre système de vision est attiré naturellement par les dessins réalisés en temps réel. Le fait de voir un processus qui se déroule au fur et à mesure devant nos yeux, permet une meilleure compréhension du sujet car l’information est construite petit à petit. De surcroît, il existe de nombreuses preuves de l’efficacité de la communication visuelle, en terme de mémorisation ainsi que de compréhension. Par exemple, nos yeux contiennent 70% de la totalité de nos récepteurs sensoriel. Ils n’ont besoin que de 150 ms pour traiter un symbole et de 100 ms pour y associer une signification. Notre signalétique routière ne serait pas aussi efficace si l’on remplaçait les pictogrammes par des mots.
La facilitation graphique peut également être interprétée comme une « architecture de l’information ». En effet, elle recourt à la notion d’échelle. Elle permet de codifier sur un support en deux dimensions un volume plus grand. Elle permet surtout de comprendre le sujet d’une discussion, ses catégories principales, et sa sous-catégorie. Comme en architecture, il se lit la structure et le gabarit d’un bâtiment pour ensuite dé-codifier ses détails ornementaux. Chaque information nouvelle se rajoute à la précédente de manière organique selon un critère d’importance et non pas de temps. Pour ce faire, le facilitateur graphique instaure un cycle en trois étapes : Récolter – Trier – Montrer
Il est essentiel ici de rappeler qu’être architecte veut dire tout d’abord « penser visuellement ». Cette même pensée permet la visualisation du projet (jeter en avant selon l’étymologie) avant qu’il soit tracé. L’architecture a toujours été liée à d’autres disciplines graphiques et a tout intérêt à garder cet échange afin de pouvoir s’exprimer pleinement. La facilitation graphique est donc une forme supplémentaire de communication visuelle qui ne se fait pas au détriment de la communication verbale. Si pendant longtemps nous avons accepté la division des hémisphères cérébraux (avec les notions de cerveaux droit et gauche associés respectivement aux activités créatrices/visuelles et de calcul verbal analytique), nous savons aujourd’hui qu’il s’agit d’un mythe. La pensée visuelle et la pensée verbale ne sont pas antagonistes, elles sont complémentaires. C’est justement l’association de l’image et la parole qui permet la compréhension maximale d’un concept.
Livio Fania
Bibliographie essentielle :