Si vous vous intéressez à la facilitation graphique, vous avez sûrement entendu parler de Bikablo.

Pour ceux qui ne la connaissent pas, Bikablo est une marque allemande spécialisée dans des produits pour la facilitation graphique, des marqueurs aux dictionnaires visuels en passant par des modèles de fresques. En ciblant un marché de niche, (et surtout en ayant une vision très novatrice) en quelques années, Bikablo est devenue LA référence dans ce secteur, au moins pour le marché Européen. Globalement, on voit que leurs produits sont conçus pour faire face aux besoins quotidiens d’un facilitateur graphique, et qu’ils connaissent bien notre profession.

Donc si vous êtes des scribes à la recherche d’inspiration ou d’amélioration, ça vaut vraiment le coup de faire un tour sur leurs site. D’ailleurs, j’en profite pour dire que je ne suis pas du tout sponsorisé par eux mais que j’écris simplement ce que je pense.

Parmi les nombreux produits de Bikablo, on retrouve le set de cartes “Bikablo Icons”, qui constitue une espèce de dictionnaire visuel sous forme de cartes carrées (9x9cm), et que je possède depuis plusieurs années maintenant.

La boîte inclut 240 cartes au total, divisées en 5 catégories différentes :

Les cartes affichent sur le dos les mots-clés qu’elles représentent, et même si ces textes sont écrits qu’en allemand et anglais (comme d’ailleurs pour tous les produits Bikablo), cela ne joue pas du tout sur l’usage, car au final les pictogrammes sont très parlant, et on a rarement besoin de vérifier à quoi ça correspond.

D’un point de vue de la réalisation, Bikablo a fait quand même un effort. Les cartes Les cartes sont imprimées sur du bon papier, bien épais, elles sont colorées en fonction de leur catégorie pour qu’on puisse les reconnaître avec un coup d'œil et présentent un petit trou prévu pour les épingler.

En effet, ce set de cartes peut être utilisé de 2 façons. Sur la table, en les faisant circuler parmi les gens ou en créant des groupes/combinaisons, ou bien accrochées au mur, sous forme de “mosaïque” colorée.

Les Bikablo Icons épignlées au mur

Cependant, même si le rendu esthétique de cette dernière solution est très intéressant et que ça peut fonctionner comme source d’inspiration pour les participants à un atelier, les mettre en place demande beaucoup de temps en amont (et d’épingles), et j’ai constaté qu’après l’avoir fait 2 ou 3 fois, je m’en suis vite lassé. Actuellement, pour une vision d’ensemble, j’ai une photo numérique avec une sélection des cartes que j’affiche pendant mes séances de formation.

Les bikablo icons sont certes un outil assez intéressant, mais je ne recommanderai pas son achat à des débutants. Pour ce qui concerne la recherche constante de nouvelles idées de pictogrammes à inclure dans notre bibliothèque visuelle, je trouve que cela peut se faire de manière plus efficace sur internet, et qu’au final le fait de voir un nouveau picto à l’écran ou bien imprimé sur une carte ne va pas jouer sur notre façon de le dessiner la prochaine fois.

Par contre cette boîte se révèle vraiment très utile au moment d’animer des ateliers (surtout pour des débutants) ou des formations, car les participants peuvent manipuler les cartes, les utiliser comme référence, les prendre en photo etc. En particulier pour ceux qui s’intéressent à dessiner des bonhommes en action, c’est un vrai atout, et j’ai eu beaucoup de retours positifs

Pour conclure, les bikablo icons ne font pas nécessairement partie du kit de base du facilitateur graphique, mais elles peuvent constituer un excellent outil d’animation pour des formateurs en facilitation graphique ou même des facilitateurs (pas graphiques) qui ne possèdent pas de compétences en dessin et qui préfèrent afficher leurs idée en épinglant les cartes.

Et vous, avez-vous déjà utilisé les bikablo icons ? Comme d’habitude, n’hésitez pas à partager avec nous vos commentaires.

Une des questions qui m’est souvent posée concernant la facilitation graphique est la suivante : “Est-ce de l’improvisation ou tu sais à l’avance quoi dessiner le jour J?”

Les nouveaux clients posent cette question pour savoir s’ils doivent s’organiser afin de fournir le plus d’informations possibles au facilitateur graphique avant le jour du séminaire, alors que les spectateurs qui assistent au séminaire sont souvent curieux de savoir comment procède le facilitateur graphique pour ne pas trop stresser et rester à l’écoute de tout ce qui est dit.

La réponse à la question est que bien évidemment le scriber NE SAIT PAS à l’avance quoi dessiner. C’est le principe du live, et c’est ce qui fait de la facilitation graphique et de sa capacité de s’adapter en fonction du moment un outil de travail si puissant. On insiste toujours sur le fait que par rapport à une illustration (qui peut être faite en post-production sur la base d’un rendu écrit) la facilitation graphique en live alimente la discussion au sein du groupe de participants.

Cependant, il ne s’agit pas d’improvisation non plus. En fait, même si savoir résumer un concept en 2 traits de marqueur reste un atout pour tout facilitateur graphique, il existe des méthodes solides pour préparer le terrain afin de se sentir à l’aise lors d’un séminaire et éviter la peur de la feuille blanche.

Celle que moi j’utilise consiste à faire un brainstorming et créer un nuage de mots basé sur la thématique. Nous allons la voir ensemble par étapes.

Étape 1 – le nuage de mots

exemple de nuage de mots

Si la thématique de l'événement dans lequel nous allons intervenir est le développement durable, je vais écrire croissance, vert, plante, feuille, éolienne, soleil, développement, idée, etc...tout ce qui peut être en lien avec la thématique de départ ou un des mots clés déjà évoqués.

Étape 2 – la traduction en images

exemple de traduction en images

Je vais ensuite trouver une manière de résumer les mots clés les plus importants que je viens d’écrire avec des symboles ou des dessins

Étape 3 – la création de métaphores visuelles

exemple de métaphores visuelles

Je vais enfin essayer de combiner les différentes idées pour créer des nouvelles métaphores visuelles qui nous permettent de sortir des clichés ordinaires, tout en restant compréhensibles et sans trop s’éloigner du concept de base.

Cet exercice a l'avantage de pouvoir se mettre en place même avec peu d’informations sur la thématique de départ. Nous pouvons le faire juste en ayant le titre de la conférence ou un seul mot clé. D’autres mots clés vont se rajouter au fur et à mesure pendant le brainstorming, faisant grandir le nuage de manière naturelle. De cette façon, même si nous ne pouvons pas prévoir ce qu’il sera dit le jour J, nous allons au moins avoir une base dans laquelle pouvoir piocher si une idée évoquée se rapproche de quelque chose que nous avons dessiné lors de notre recherche.

Nous allons peut-être ne pas utiliser toutes les métaphores visuelles que nous avons créées, ou même aucune, mais il y aura sûrement des idées qui vont s’y rapprocher, et que nous pourrons adapter à la fresque avec peu d’effort.

Au-delà de son intérêt de préparation au jour J, faire cet exercice de manière constante permet petit à petit d’élargir notre bibliothèque visuelle, et avec le temps nous aurons un vrai vocabulaire visuel personnalisé.

Et vous, comment vous préparez-vous à vos journées de facilitation graphique ?  

L'article suivant a été publié dans le numéro 167 de Plan Libre, le journal de ma Maison de l'Architecture de la région Occitanie, de mai 2019, avec le titre "La facilitation graphique comme architecture de l'information". Merci à Guillaume Beinat pour la coordination. Photo © de Ivan Mathie.

La facilitation graphique comme architecture de l’information

Une image vaut plus que mille mots. Combien de fois avons-nous entendu cette phrase ? En tant qu’architecte, illustrateur et facilitateur graphique, je suis souvent confronté à la nécessité d’expliquer l’importance de la communication visuelle dans notre environnement. La facilitation graphique est une jeune discipline qui connaît un essor grâce à la « démocratisation » du dessin. Elle essaye de démontrer les avantages scientifiques que déclenche l’usage efficace d’images dans un contexte professionnel.

La facilitation graphique est une pratique artistique qui permet la restitution en temps réel d’un flux d’information ou d’un échange au sein d’un groupe. Si vous avez déjà assisté à des réunions, meetings, conférences, où une personne écoute discrètement les intervenants et traduit en images leurs discours, vous avez vu de la facilitation graphique en action. La technique principale utilisée par les facilitateurs graphiques est celle de la fresque. Une feuille de papier de plusieurs mètres de long synthétise et structure les informations afin de permettre une vision d’ensemble sur un sujet.

Photo © de Ivan Mathie.

 

Le lien qu’entretiennent l’architecture et la facilitation graphique est d’ordre historique. La facilitation graphique naît en 1972 à San Francisco à travers la rencontre du consultant David Sibbet, David Straus et Michael Doyle. Ces deux derniers sont architectes de formation et travaillent sur l’idée d’introduire une méthode pouvant être utilisés par les architectes, les designers et d’autres créatifs dans le « problem solving ». Celle-ci pourrait aider à développer une approche collaborative pour la prise de décisions. Ils sont fascinés par les brainstormings collectifs et organisent régulièrement des rencontres dans lesquelles ils encouragent des membres à enregistrer les concepts sur de grandes feuilles. Ces rencontrent attirent l’attention de plusieurs personnes qui gravitent autour de l’innovation. Entrepreneurs, créatifs, ou mêmes étudiants universitaires. Parmi eux, un autre architecte, Joe Brunon, intègre rapidement l’équipe pour y développer un style qu’il appellera ensuite le « graphisme génératif ». Sa technique consiste à dessiner des schémas complexes avec multiples branches, tout en gardant le coup de crayon et le sens de la composition d’un architecte. Dans ce contexte naît « Group Graphic », le premier cabinet de conseil qui propose des services de facilitation graphique. Au moment de ces évènements ni David Straus, ni Micheal Doyle, ni Joe Brunon ne travaillaient principalement comme architectes. Il est donc difficile de définir dans quelle mesure nous pouvons affirmer que ce sont des architectes qui ont inventé la facilitation graphique. Cependant il est certain que ce n’est pas un hasard si des tels profils ont joué un rôle central dans la création de cette discipline, puisqu’il s’agissait de personnes ayant l’habitude de travailler avec des visuels.


La facilitation graphique naît en 1972 à San Francisco à travers la rencontre du consultant David Sibbet, David Straus et Michael Doyle. Ces deux derniers sont architectes de formation et travaillent sur l’idée d’introduire une méthode pouvant être utilisés par les architectes, les designers et d’autres créatifs dans le « problem solving ».


La facilitation graphique est très liée aux sciences cognitives, aussi il est intéressant de parler de « pensée visuelle ». En effet, l’architecture et la facilitation graphique utilisent le dessin comme un outil de travail et non pas comme une finalité. Ce dessin, spontané, primordial, souvent au deuxième plan dans une réalité d'agence CAD (ou plutôt BIM maintenant), s'exprime dans les situations les moins attendues. Une esquisse rapide en réunion, devant un client, ou bien un détail de construction dessiné lors d’un chantier sur une plaque de BA13 pour clarifier un doute. Cet acte, est en quelques sorte un acte d’engagement, un pas ve­­rs l’autre, une tentative de communiquer autrement qu’à travers les mots. Il est curieux de constater à ce propos, que les études effectuées sur la vie du peintre Américain Bob Ross montrent comment notre système de vision est attiré naturellement par les dessins réalisés en temps réel. Le fait de voir un processus qui se déroule au fur et à mesure devant nos yeux, permet une meilleure compréhension du sujet car l’information est construite petit à petit. De surcroît, il existe de nombreuses preuves de l’efficacité de la communication visuelle, en terme de mémorisation ainsi que de compréhension. Par exemple, nos yeux contiennent 70% de la totalité de nos récepteurs sensoriel. Ils n’ont besoin que de 150 ms pour traiter un symbole et de 100 ms pour y associer une signification. Notre signalétique routière ne serait pas aussi efficace si l’on remplaçait les pictogrammes par des mots.

 

La facilitation graphique peut également être interprétée comme une « architecture de l’information ». En effet, elle recourt à la notion d’échelle. Elle permet de codifier sur un support en deux dimensions un volume plus grand. Elle permet surtout de comprendre le sujet d’une discussion, ses catégories principales, et sa sous-catégorie. Comme en architecture, il se lit la structure et le gabarit d’un bâtiment pour ensuite dé-codifier ses détails ornementaux. Chaque information nouvelle se rajoute à la précédente de manière organique selon un critère d’importance et non pas de temps. Pour ce faire, le facilitateur graphique instaure un cycle en trois étapes : Récolter – Trier – Montrer

Il est essentiel ici de rappeler qu’être architecte veut dire tout d’abord « penser visuellement ». Cette même pensée permet la visualisation du projet (jeter en avant selon l’étymologie) avant qu’il soit tracé. L’architecture a toujours été liée à d’autres disciplines graphiques et a tout intérêt à garder cet échange afin de pouvoir s’exprimer pleinement. La facilitation graphique est donc une forme supplémentaire de communication visuelle qui ne se fait pas au détriment de la communication verbale. Si pendant longtemps nous avons accepté la division des hémisphères cérébraux (avec les notions de cerveaux droit et gauche associés respectivement aux activités créatrices/visuelles et de calcul verbal analytique), nous savons aujourd’hui qu’il s’agit d’un mythe. La pensée visuelle et la pensée verbale ne sont pas antagonistes, elles sont complémentaires. C’est justement l’association de l’image et la parole qui permet la compréhension maximale d’un concept.

Livio Fania

Bibliographie essentielle :